Tout sur ma mère
( Esteban est un
adolescent qui vit avec sa mère, Manuela. Il ne connaît pas son père.)
Séquence 5 - Maison de Manuela. Chambre d’Esteban. Nuit intérieure.
Assis sur le lit, ou appuyé sur un oreiller, Esteban note sur son cahier la scène de la salle à manger ;
sa mère lui a montré une photo de quand elle était jeune, mais il manque un
bout à la photo. Et, lui a l’impression qu’il manque aussi à sa vie ce même
morceau. La mère frappe à la porte et entre, Esteban a juste le temps de fermer le cahier. Il n’a pas envie que
Manuela lise ce qu’il vient d’écrire. Manuela a un livre à la main, enveloppé
dans du papier cadeau. Elle désigne sa montre.
Manuela – Il est minuit !Joyeux anniversaire !
Elle s’approche du lit, et l’embrasse avec effusion.
Manuela – Otes le papier ! Si tu l’as
ou s’il ne te plaît pas je le change.
Esteban ôte le papier, face au sourire de
sa mère.
Esteban – Musique pour caméléons !
Il le dit comme si subitement il écoutait cette
musique.
Manuela – Tu l’as lu ?
Esteban – Non.
Mais comment savais-tu que je le voulais ?
La mère désigne une étagère… Il y a de tout,
auteurs anglo-saxons actuels, série noire. La
Harpe d’herbes et Petit déjeuner
chez Tiffany, de Truman Capote, en
livre de poche.
Manuela – j’ai remarqué que tu aimais
Capote…
Esteban rend le livre à sa mère.
Esteban –
Lis-moi quelque chose…comme quand j’étais petit…
La mère s’assoit sur le bord du lit, ouvre le
livre et lit à voix haute.
Manuela ( Lisant) – « Préface. J’ai commencé à écrire
lorsque j’avais huit ans… ».
Esteban – Tu
vois ? Je ne suis pas le seul…
Manuela – « … Je ne savais pas alors
que je m’étais enchaîné pour toute ma vie à un noble mais implacable maître.
Lorsque Dieu vous donne un don, il vous donne aussi un fouet et le fouet est
uniquement dans le but d’autoflagellation ».
Manuela arrête de lire et regarde le livre,
inquiète. Le garçon le lui retire des mains. Il feuillette quelques pages sans
arriver à lire quelque chose, seulement afin de s’imprégner de son arôme.
Manuela –Pour te retirer l’envie d’écrire
on ne ferait pas mieux …
Esteban – Ne
sois pas bête ! C’est une préface magnifique.
Manuela – Que veux-tu faire demain pour
fêter ton anniversaire ?
Esteban – Aller
au théâtre… Huma Rojo fait ses adieux cette semaine…
Manuela fait un geste affirmatif de la tête. O.K.
Esteban –
Maman, j’aimerais aussi voir l’un des séminaires que tu fais, si ça ne te
déranges pas.
Manuela ( très
étonnée) – Et alors?...
Esteban ( un peu gêné)- je suis en train d’écrire une histoire sur
toi, pour l’envoyer à un concours à Alicante.
Ca n’enchante pas Manuela, mais elle ne dit rien.
Esteban-
J’aimerais te voir jouer dans ces simulations lors du stage de don d’organes…ce
que tu m’as raconté me semble hallucinant.
Manuela ( dubitative)-
Laisse-moi y réfléchir. Le séminaire est uniquement pour les médecins, mais Mamen, la psychologue que l’anime est une de mes amies, je
ne crois pas que cela pose un problème.
Esteban –
Merci.
Comme si elle venait de le décider
subitement :
Manuela – Ecoute, je crois que ça ne me plaît
pas que tu écrives sur moi.
Ce n’est pas un doute mais une affirmation.
Pedro Almodóvar, Todo sobre mi madre, Cahiers
du cinéma, 1999