Un chilien à Berlin
Dans les années soixante dix, de nombreux chiliens
se virent dans l’obligation de s’exiler après le coup d’Etat militaire.
Ici, en hiver il fait nuit très tôt. En décembre,
lorsque nous sortons de l’école avec Edith il n’y a déjà plus de lumière. Cela
nous convient assez, à nous. Nous savons toujours où il y a des endroits plus
ou moins obscures afin de nous y mettre
un petit moment. Au Chili la nuit est courte, il y a plus d’oiseaux qu’à
Berlin, une chaîne montagneuse très belle qui a toujours de la neige au sommet,
il y a beaucoup d’insectes, des chiens en liberté, et des mouches. Ici en
Allemagne on ne voit pas beaucoup de mouches. Les gens sont très propres.
Moi, j’ai été le premier de ma famille à apprendre
l’allemand et chaque fois que le téléphone sonnait, mon papa venait me chercher
pour que je réponde. ¨Parfois lorsque je n’étais pas à la maison, papa et maman
laissaient sonner le téléphone tout simplement parce qu’ils avaient honte de le
décrocher. Et lorsque je rentrais à la maison ils me sermonnaient parce que je
n’étais pas là lorsque le téléphone avait sonné. Maintenant nous le laissons
sonner autant qu’il le veut, mais dans les premiers mois nous mangions en
fonction du téléphone. Il se trouve que papa et maman avaient trouvé un travail
en enseignant l’espagnol, des cours particuliers. Etant donné qu’ils sont
professeurs tous les deux, ça ne leur coûte rien d’enseigner. Moi, je leur
notais l’adresse des élèves sur le carnet et j’écrivais les jours où ils
voulaient un cours.
Au début, au collège je n’avais pas d’amis. Lors
des récréations je me joignais à mon jeune frère et nous consacrions notre
temps à manger le sandwich et à prendre le soleil contre le mur. Voilà une
autre chose que je suis : le meilleur preneur de soleil au monde.
Peut-être parce que je souffre du froid et suis mort de froid. Au Chili on
m’appelait « le lézard ». Le soleil et moi, nous sommes intimes.
Antonio SKARMETA, No pasó nada, 1996