La prison Liberté
Liberté est un mot incroyable.
Par exemple, lorsque les cours sont terminés, on dit que vous êtes libre. Pendant que dure la liberté, vous
vous promenez, vous jouez, vous n’avez aucune raison d’étudier. On dit qu’un
pays est libre, lorsque n’importe quelle femme ou n’importe quel homme fait ce dont
il a envie.
Mais même dans les
pays libres, il y a des choses très interdites. Par exemple, tuer. Ca oui, on
peut tuer des moustiques et des cafards et même des vaches pour faire des
grillades. Par exemple, il est interdit de voler, bien que cela ne soit pas
grave si vous gardez un peu de monnaie quand Graciela,
qui est ma maman, me charge de quelque achat. Par exemple, il est interdit
d’arriver en retard à l’école, bien que dans ce cas il faille faire un petit
mot, pour dire mieux, Graciela doit le
faire, en justifiant la raison. C’est ainsi que dit la maîtresse : en justifiant.
Liberté veut dire
beaucoup de choses. Par exemple, si vous n’êtes pas prisonnière, on dit que vous
êtes en liberté. Mais mon papa est prisonnier et cependant il est à Liberté,
parce que c’est ainsi que se nomme la prison où il est depuis de nombreuses
années déjà. Oncle Rolando appelle cela un sarcasme. Un jour, j’ai raconté à
mon amie Angélica que la prison où est mon papa s’appelle Liberté et qu’oncle
Rolando avait dit quel sarcasme, le mot plut tant à mon amie Angélica que
lorsque son parrain lui offrit un chiot, elle lui donna le nom : Sarcasme.
Mon papa est un prisonnier non pas parce qu’il a tué ou volé ou est arrivé en
retard à l’école. Graciela dit que mon papa est à Liberté, en d’autres termes qu’il
est prisonnier pour ses idées. Il paraît que mon papa était célèbre pour ses
idées. Moi aussi, j’ai parfois des idées, mais je ne suis pas encore célèbre.
C’est la raison pour laquelle je ne suis pas à Liberté, donc que je ne suis pas prisonnière.
Texte original espagnol de Mario Benedetti, Primavera con una esquina rota, 1982.