Le
sacrifice de la natte
- Tu n’es pas capable de la couper pour moi- dit-il, les
yeux brillants.
Je n’avais ni même jamais rêvé d’un plus grand bonheur que
celui qu’il me demandât quelque chose. L’ampleur du sacrifice était, cependant,
si grand que cela me faisait frémir. Ma chevelure, lorsque j’avais dix sept
ans, était mon unique beauté. Je portais toujours une tresse libre, une unique
et énorme natte qui courait de la poitrine jusqu’à la taille. Elle était ma
fierté. Jour après jour, Román la regardait d’un
sourire constant. Une fois, ce sourire me fit pleurer.
Finalement, je ne pus résister davantage et après une nuit
d’insomnie, quasiment les yeux fermés, je la coupai. Cette touffe de cheveux
était tellement épaisse et mes mains tremblaient tant que je mis énormément de
temps. Instinctivement, je me serrais le coup comme si un méchant bourreau
voulait maladroitement me le trancher.
Le jour suivant, en me regardant dans le miroir, je me mis à
pleurer. Ah que la jeunesse est stupide !...
En même temps une très humble fierté m’envahissait
totalement. Je savais que personne n’eût été capable de faire la même chose.
Personne n’aimait Román autant que moi…
Je lui envoyai ma tresse avec cette anxiété quelque peu
fébrile, qui vu de l’extérieur semble si mièvre, d’une héroïne d’un roman
romanesque. Je ne reçus même pas une ligne de sa part en réponse.
Carmén Laforet,
Nada, 1994