Nous, c’était légal !
Un père
explique à son fils comment il a émigré en Allemagne dans les années 60.
Nous, nous sommes partis avec des
papiers et un contrat en bonne et due forme, murmura-t-il. […] Nous, c’était
légal ! Dès que j’ai appris qu’on cherchait des hommes pour aller
travailler en Allemagne, je suis allé m’inscrire en courant. Je devenais aveugle
à force de tailler le bois ; je travaillais des heures et je ne gagnais
pas un radis. Donc je suis allé au bureau où se faisaient les démarches … […]
plusieurs semaines après on m’a appelé pour aller passer la visite médicale.
Papa émit un long soupir.
La visite médicale était dure. Ne
crois pas que n’importe qui la passait avec succès. Son index droit pointa
l’œil du même côté. J’ai vu pleurer, de mes yeux, un homme large comme une
armoire à glace, parce qu’on lui avait trouvé je ne sais quoi dans le dos et il
est resté sans papiers. On nous voulait bien sains pour nous exploiter, il ne
fallait surtout pas que nous tombions malades et que nous leur ruinions la
sécurité sociale.
Et l’étape suivante a été le
voyage ?
On nous a dit : jeudi tel jour,
à telle heure, à la Estaciόn
del Norte. Celui qui arrivera en retard restera sur
le quai, car le train n’attend pas.
Mon père examina ses mains criblées
de taches brunes et soupira.
Dans le
train, il n’y avait que des hommes, tous jeunes et forts, mais plus pauvres que
Job. Chacun avec une valise en carton sur le dos. Et lorsque nous sommes
arrivés à la gare de Cologne, il y avait un abruti avec un mégaphone qui tournoyait,
qui ne faisait que de nous aboyer dessus.
Carmen Santos (escritora
española), Días de menta y canela, 2009