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Je n’ai pas aimé Santiago du Chili
Le protagoniste, Maya Vidal, est une jeune femme de Chiloé
qui a accompagné Manuel à Santiago pour une opération.
Santiago a six millions d’habitants et poursuit sa
croissance vers le haut dans un délire de tours en construction. C’est une
ville entourée de collines et de hautes montagnes couronnées de neige, propre,
prospère, épurée avec des parcs bien entretenus. La conduite est agressive,
parce que les chiliens, si aimables en apparence, déchargent leurs frustrations
au volant. Entre les véhicules pullulent des vendeurs de fruits, d’antennes de
télévision, de pastilles de menthe et de toute sorte de babioles et à chaque
feu il y a des saltimbanques qui font des sauts mortels pour une aumône. Nous avons
eu de belles journées, bien que la pollution empêche parfois de voir la couleur
du ciel.
Une semaine après l’intervention, avec Manuel, nous sommes
rentrés à Chiloé où nous attendaient les animaux. Nous sommes rentrés avant que le docteur Puga laisse sortir Manuel de l’hôpital, parce qu’il n’a pas
voulu passer tout le mois de sa convalescence à Santiago chez la sœur de
Blanca, où nous nous embêtions, comme il a dit. Ils nous ont accueillis avec affection
et tous, même les enfants adolescents, se sont mis à la disposition de Manuel
pour l’accompagner aux examens et prendre soin de lui.
J’ai partagé la chambre avec Blanca et j’ai pu me rendre
compte comment les riches vivent dans leurs résidences protégées par des
grilles, avec des domestiques, des jardiniers, une piscine, des chiens dressés
et trois voitures. On nous amenait le petit déjeuner au lit, on nous préparait
le bain avec des sels aromatiques et on m’a même repassé mes jeans. Je n’avais
jamais rien vu de semblable et j’ai assez aimé ; je m’habituerais vite à
la richesse. Lorsque je l’ai expliqué à Manuel, il s’est moqué : « ils
ne sont pas vraiment riches, Maya, ils n’ont pas d’avion ». […]
A Santiago je me suis sentie accablée par la pollution, la
circulation et le comportement impersonnel des gens. A Chiloé, on sait lorsque
quelqu’un est d’ailleurs parce qu’il ne dit pas bonjour dans la rue, à Santiago
celui qui dit bonjour est suspect. Dans l’ascenseur de la clinique Alemana, je disais bonjour comme une idiote et les autres
regardaient fixement le mur pour ne pas me répondre. Je n’ai pas aimé Santiago
et je ne voyais pas arriver l’heure du retour à notre île, où la vie coule
comme un fleuve tranquille, où il y a de l’air pur, du silence et du temps pour
mener à terme ses pensées.
Isabel ALLENDE (escritora chilena), El cuaderno de Maya,"