Vous prendrez un
café ?
Le narrateur
s’entretient avec un dictateur latino-américain dans le Palais Présidentiel.
- Vous prendrez un
café avec moi ?
- Oui, merci
- Noir ?
- Oui noir.
Il appuya sur un
bouton et à travers un dictaphone il ordonna :
- Amenez-moi deux
cafés noirs et un peu de cognac- il se dirigea vers moi- parce que vous
prendrez aussi du cognac. N’est ce pas ?
- Je préfèrerais un
peu de rhum.
- Alors moi, je
prendrai le cognac. Le rhum, pas besoin de le demander. J’en ai ici.
Il me fit un clin d’œil.
Ma mauvaise
réputation dit que je me saoule avec du rhum. Ce n’est pas si sûr. Mais le fait
est que j’en bois un petit verre de temps en temps.
Par une porte
invisible depuis mon siège un serveur mulâtre était entré. Il venait chargé d’un plateau avec la
commande. Sans un mot, il servit les cafés.
- Tu as amené trois
tasses?
- Deux. Excellence.
- Il reste du
café ?
- Oui. Excellence.
-Goûte-le.
Le serveur sans
rechigner, goûta une gorgée de la cafetière. Il sursauta, tomba au sol en
gémissant, se tordit et ne bougea plus.
- Vous voyez ?-
me dit son Excellence- les précautions ne valent rien. Et cela, ça arrive au
moins une fois par mois. De telle sorte que je ne trouve plus de serveurs à
mois que je les paie à prix d’or.
Il appuya sur un
autre bouton et parla à nouveau à travers le dictaphone.
- Que deux gardes
viennent.
- Et revenant à moi,
il ajouta :
- Ne vous inquiétez
pas. Dans de tels cas, j’ai toujours une cafetière de prête, à côté du rhum que
je vous ai offert. Mais c’est dommage de ne pouvoir se fier à l’usage. Vous ne
croyez pas ?
Ce que je ne croyais
pas moi, c’était que le mulâtre était mort et que le café fusse
empoisonné.
Sans raison, je le
reconnais. Il s’était peut-être trompé. Un petit coup de pied sur le corps au
sol me suffit afin de vérifier qu’il était mort.
Gonzalo Torrente Ballester, Las islas extraordinarias, 1991