Anthologie de pistolets
En 1940, le poète
Pablo Neruda a été nommé consul général du
Chili au Mexique.
Le Mexique de cette
époque là était plus amoureux du pistolet que tueur. Il y avait un
culte du révolver, un fétichisme
du « 45 ». On sortait sans cesse son gros pistolet
pour le faire briller. Les candidats aux parlementaires et les journaux
commençaient leurs campagnes d’ « abolition du
pistolet», mais ils comprenaient
sur le champ qu’il était plus facile d’extraire une dent
à un mexicain plutôt que sa très chère arme à
feu.
Une fois, les
poètes me célébrèrent par une promenade en barque
fleurie. Quinze ou vingt poètes se rassemblèrent sur le lac
Xochimilco et me firent naviguer entre eaux et fleurs à travers les canaux et couloirs de cette lagune
destinée aux promenades florales depuis l’époque des
aztèques. L’embarcation est décorée de fleurs de
toutes parts, débordante de figures et de splendides couleurs. Les mains
des mexicains, tout comme celles des chinois, sont incapables de créer
quelque chose de laid, que ce soit en pierre, en boue ou en œillets.
Ce qui est certain,
c’est que, durant la traversée pour me rendre un hommage
différent et après de nombreuses tequilas, l’un de ces
poètes s’entêta à tirer en l’air avec son beau
pistolet qui manifestait des signes d’argent et d’or sur la
poignée.
Aussitôt, le
collègue le plus proche sortit rapidement le sien d’une
cartouchière et emporté par l’enthousiasme donna un coup
sur celui du premier donateur et m’invita à tirer avec sa propre
arme. En entendant ce vacarme les autres rhapsodes s’y joignirent, chacun
en dégainant avec détermination leur pistolet, et les brandirent
tous autour de ma tête pour que je choisisse le leur et non celui des
autres. Cette cape mouvante de pistolets qui se croisaient devant mon nez ou
qui me passaient sous les aisselles, devenait chaque fois plus
menaçante, jusqu’à ce
qu’il me vint l’idée de retourner un grand chapeau
typique et, après les avoir demandés au bataillon de
poètes au nom de la poésie et de la paix, de les récolter
tous en son sein. Ils obéirent tous et de cette façon je parvins
à leur confisquer leur arme pour quelques jours en les gardant chez moi.
Je pense que j’ai été le seul poète pour lequel on a
composé une anthologie de pistolets.
Texte espagnol de Pablo
Neruda, Confieso
que he vivido, 1974