Rencontre dans le désert d’Atacama
Là-bas nous nous
sommes fait un couple d’amis d’ouvriers chiliens qui étaient communistes.
A la lumière d’une
bougie avec laquelle nous nous éclairions pour préparer le « maté »
et manger un morceau de pain et de fromage, les traits tirés de l’ouvrier
apportaient une touche mystérieuse et tragique ; dans une langue simple et
expressive il parlait de ses trois mois de prison, de cette femme affamée qui
le suivait avec une loyauté exemplaire, de ses enfants, laissés chez un voisin charitable,
de son infructueux périple à la recherche d’un travail, de ses compagnons
mystérieusement disparus, de ceux dont on dit qu’ils ont été jetés au fond de
la mer.
Le couple transis de
froid, dans la nuit du désert, serré l’un contre l’autre, était une vivante
représentation du prolétariat de n’importe quel pays. Ils ne possédaient même
pas une misérable couverture avec laquelle se couvrir, de sorte que nous leur
avons donné l’une des nôtres et nous nous sommes enveloppés avec l’autre comme
nous avons pu Albert et moi. Cela fut l’une des fois où j’ai le plus souffert
du froid, mais aussi, où je me suis senti le plus fraternel avec, pour moi,
cette drôle d’espèce humaine …
A huit heures du
matin nous avons trouvé le camion qui nous mènerait jusqu’à Chuquicamata et
nous nous sommes séparés du couple qui se préparait à aller aux mines de soufre
de la cordillère ; là où le climat est si mauvais et les conditions de vie
si difficile que l’on n’exige pas le permis de travail et l’on ne demande à personne
quelles sont ses idées politiques. La seule chose qui compte c’est
l’enthousiasme avec lequel l’ouvrier ruinera sa vie en échange des miettes qui
lui permettront de survivre(…)
Sincèrement, cela
fait de la peine que l’on prenne des mesures de répressions contre des
personnes comme celles-ci. En laissant de côté le danger qu’il peut représenter
ou non pour la vie saine d’une collectivité, « le ver communiste »,
qui avait éclos en lui, n’était rien d’autre qu’une naturelle aspiration de
quelque chose de meilleur, une protestation contre la faim bien ancrée traduite
par l’amour de cette étrange doctrine dont je ne pourrais jamais comprendre
l’essence, mais dont la traduction, « du pain pour le pauvre »,
étaient des mots à leur portée et plus encore, qui remplissaient leur
existence.