Un détective
mapuche
Cette
histoire est née entre les bois qui grandissent au fond du fiord
d’Aysén, en Patagonie.
J’étais arrivé jusqu’à mon cher monde austral dans
l’intention de visiter quelques bons amis et alors que j’attendais
à un croissement de chemins le véhicule qui passerait me prendre,
j’engageai la conversation avec un homme assez loquace, qui,
excepté les proportions physiques décrites par Cervantes, ne manqua pas de me rappeler Sancho Panza.
Il
était, sans aucun doute, mapuche et après s’être
offert mutuellement du tabac et du feu, et avoir échangé des
banalités sur le temps, si changeant, nous en vînmes à
parler de ce que nous faisions en particulier.
Sans
aucun air de refus ou de surprise, il accepta le fait que j’étais
écrivain et ainsi il ne me resta plus qu’à accepter et
croire qu’il était policier, détective du corps de lutte
contre le vol de bestiaux, pour être plus précis.
Il
avait un nom pompeux et un sens olfactif vraiment développé.
Tandis
que nous bavardions, il redressa subitement la tête, l’orienta vers
un point incertain entre les montagnes basses et agita les ailes du nez.
-
Il y a un incendie
de forêt. Mauvaise chose -dit-il.
Je
regardai moi aussi et j’eus beau aiguiser mon regard, je ne vis aucun
signe de fumée ni ne sentis aucune odeur de bois brûlé.
C’était l‘été, le ciel se montrait bleu et
diaphane aux quatre points cardinaux et l’air pur de la Patagonie sentait
les mille herbes qui poussent là bas. Il agita une fois de plus les
ailes du nez avant de préciser :
-
Un bois de
« peumos ». Mauvaise chose.
Plus
tard, chez mes amis et faisant honneur à un agneau rôti à
la broche convenablement arrosé de vin, je commentai le fait avec eux. Aucun n’avait entendu parler
d’incendie, tout au moins pas dans les environs, c’est vrai
qu’en Patagonie les distances sont assez relatives.
Trois
jours plus tard, à environ deux cents kilomètres de
l’endroit de la rencontre avec le détective, je passai par un
chemin qui bordait plusieurs hectares de bois rasés par le feu ;
une brigade de pompiers forestiers éteignait les dernières
braises et je m’approchai d’eux.
-Qu’est-ce
que c’était comme arbres ?- demandai-je
-Des « peumos ». Mauvaise chose - répondit un
pompier.
Avant
de nous quitter, ce détective mapuche me demanda comment était la
ville où, à l’époque, je vivais. Je suppose que je
lui fis une description sans enthousiasme et arbitraire de Paris, qu’il
écouta entre de légers gestes de consentements. A ma question à
propos d’où il vivait lui, il répondit qu’il
détestait les villes.
Luis Sepúlveda, Hot line,
2002